Une promenade en bonne compagnie!

Si vous voulez. Ça sera avec plaisir.

Yue venait donc d'accepter la visite du lieu Saint. Mais étrangement, il semblait croire que c'était la volonté de Jeska que d'aller dans ce pieux édifice alors qu'elle avait supposé que c'était le désir du jeune homme que d'y entrer. Ce quiproquo la fit hésiter un bref instant, mais, après qu'il ait ouvert la lourde porte à battants et lui fit signe d'entrer.

Après vous.

Une fois à l'intérieur, les yeux de l'ange durent s'habituer à la baisse de luminosité. Mais dès que ce fut fait, elle put profiter des œuvres d'art qui s'étalaient un peu partout dans ce lieu de culte. Dans un premier temps, les vitraux. Le métal finement ciselé et le verre savamment ouvragé élevaient le travail des artisans qui avaient fait ses pièces à de l'orfèvrerie. En plus, ces vitres n'était pas juste belles, elles racontaient une histoire. Celle d'hommes et de dragons. Quelque chose d'épique se dégageait de ces œuvres antiques. Sur les colonnades il y avait des sculptures aussi. Et enfin, au fond, l'orgue, majestueux instrument prenait une place de choix au fond de la nef. L'endroit plaisait beaucoup à Jeska. Il regorgeait d'Histoire et de savoir. C'est pour cela que lorsqu'elle entendit Yue dire :

Magnifique!

Elle ne put qu’acquiescer. Comme lui, elle pensait que ce lieu était sublime. Elle y passerait volontiers des heures et des heures à déchiffrer les inscriptions sur les colonnes et à essayer de comprendre l'histoire racontée par les vitraux. Elle brûlait d'envie d'écouter le son que faisait cet immense orgue. Bref, elle se sentait bien, en ce lieu. C'est alors que Yue se mit à délirer.

Veuillez m'excuser, je ne voulais pas dire ça. Pas que vous ne soyez pas magnifique. Loin de là! En plus, avec cette lumière et dans ce lieu, ça vous rend vraiment sublime! Et, je suis sûr que n'importe quel homme digne serait heureux de vivre avec vous. Mais euh... Je m'égare là... Comment dire... Je ne voulais pas vous manquer de respect! Voilà! ...Par contre, vous m'avez parlé des origines de la magie. Que pouvez-vous me dire dessus? Ça m’intéresse un peu car ça ne fait pas longtemps que je sais que je suis mage, et j'avouerais être curieux. Enfin, si ça ne vous dérange pas, bien sûr...

Il ne fallait pas être devin pour comprendre que vu la tête que Jeska faisait, elle n'avait pas du tout compris que Yue parlait d'elle. Il venait de la complimenter sur son physique. Ce n'était pas vraiment la première fois, mais dans le cas présent, c'était particulier. Elle avait compris de travers sa phrase, et maintenant qu'il se justifiait, elle était de plus en plus surprise. Surtout le passage où il parlait d'un homme qui puisse vivre avec elle. Cette fois-ci, elle était franchement rouge et regardait ses pieds. Heureusement la façon dont le maître d'armes s'était sorti de cette situation gênante pourrait sans aucun doute aider Jeska à faire de même.

Les origines de la magie sont une chose obscure. Pour beaucoup de mages noirs, elle provient des ténèbres insondables des magies interdites. Mais, il y a aussi un autre son de cloche. Comme quoi, la magie tirerait sa source dans l'amour. Je ne sais pas laquelle de ces deux versions est vraie. J'ai du mal à croire qu'un sentiment aussi pur que l'amour ait pu créer une chose aussi horrible que la magie. D'autant plus que pour moi, croyante, Dieu est amour. Accepter que l'amour ait donné naissance à la magie, ce serait comme de dire que Dieu a crée ce pouvoir maudit. Ça reviendrait à dire que Dieu est une mauvaise personne. Non, c'est sûr, la source de la magie vient de l'obscurité.

Étrangement, Jeska ne semblait pas très convaincue de ce qu'elle disait. Son regard était comme fuyant et sa voix un peu hésitante. Elle savait que la source de la magie était l'amour, c'est juste qu'elle ne pouvait pas l'admettre à cause de ce que la magie lui avait fait endurer.

Yue avait écouté les mots de la jeune femme sans broncher. Mais dès qu'elle eut fini, il fit apparaître une épée avec son pouvoir. Ainsi, il s'agissait d'un mage. Jeska ne savait trop comment réagir. Elle ne haïssait pas les mages, mais le fait que le jeune homme en soit un la refroidissait un peu. Elle recula d'un pas sans même s'en rendre compte.

Personnellement, je ne suis pas croyant. Mais pour être un bon athée, je dirais qu'il faut connaitre toutes formes de religion. Mais si c'est Dieu qui a créé la magie, j'aime à penser que c'est pour faire le Bien, afin qu'on puisse protéger l'être aimé. Après, je dirais que c'est l'être humain qui a perverti ce don. Pour ce qui me concerne, je n'utiliserais la magie que pour aider les autres ou me défendre, jamais pour l'attaque et le Mal. Je l'ai promis à mon père, avant sa mort.

Il était comme elle. Sa magie, il voulait qu'elle serve un but noble. Mais, comme il le disait si bien. C'étaient les hommes qui pervertissaient ce pouvoir. Il choisissaient le Mal par facilité. Cependant, c'était la nature humaine. De vraies âmes pures et vertueuses, il n'y en avait pas tant que ça. En fait, c'était même le contraire. Les guildes causaient bien plus de dégâts qu'elles n'en prévenaient.

Que comptez-vous faire une fois que vous aurez trouvé les origines de la magie?

La réponse était si simple qu'elle ne prit même pas le temps de réfléchir, et rétorqua du tac-au-tac.

Je vais détruire ce fléau. Ce monde et les gens qui y vivent n'ont pas besoin de cette chose, on peut très bien vivre sans ça. Ce pouvoir force les hommes à s'entre-déchirer. Si on les débarrasse de la magie, on forcera l’humanité à trouver seule la solution à ses problèmes plutôt que de confier son salut à quelques individus irresponsables pour la très grande majorité. Les hommes réapprendront peut-être à coopérer, et qui sait, à s'aimer aussi. Et puis... moi aussi, plus égoïstement, je ne veux plus avoir à souffrir à cause de la magie.

Etrange remarque de Jeska qui n'avouait pas encore être un mage, mais qui concevait de parler un peu d'elle-même à un presque parfait inconnu.

Ça fait que deux ans que j'ai connaissance de mes pouvoirs. Mon père, qui en faite, était mon père adoptif avait décidé de sceller mes pouvoir car ils étaient soi-disant incontrôlables. J'ai vécu sans la magie et je n'ai pas souffert. Mais je n'ai pas souffert de mes deux dernières années, où j'ai eu mes pouvoirs. Je dirais que ce n'est pas la magie qui est responsable des maux de l'humanité mais autre chose. Quoi? Je ne peux pas le dire. Je ne suis pas assez savant pour ça. De plus, je suis sûr que certains hommes chercheront à se battre et à faire le Mal. C'est dans leur nature. Même moi, j'ai éprouvé de la haine envers les mages noirs, qui ont tué mon père. Cependant, je lui ai promis de ne pas chercher la vengeance, sinon on partirait dans une spirale sans fin. Pour moi, la seule chose qu'apportera la fin de la magie, c'est l'humilité. Et encore, si aujourd'hui, on peut voir des mages rabaisser des gens normaux, sans la magie, on pourrait voir les gens normaux rabaisser les anciens mages, ne sachant pas vivre sans leur pouvoir. Je ne sais pas ce qu'on vous a fait par le passé. Je pense que si j'avais eu le même sort, je ferais pareil que vous mais actuellement, dans cette Cathédrale avec moi, souffrez-vous de la magie?

C'était étrange. Il n'avait pas dit, avez-vous déjà eu à souffrir des mages, mais bien de la magie elle-même. Il comprenait ce que l'ange ressentait. Lui aussi avait eu ses pouvoir scellés car ils étaient dangereux. Cependant, il y avait un point sur lequel leur passés respectifs divergeait. Yue avait été bridé car ses pouvoirs mettaient les autres en danger, dans le cas de Jeska, la magie menaçait surtout sa propre vie. Sa main sur son épaule, les yeux dans les seins, Aquila cherchait sans doute à comprendre les raisons qui poussaient la jeune femme à vouloir ainsi priver le monde de magie. En fait, il y en avait deux, une profondément altruiste, et l'autre, plus égoïste.

Je comprends que tu as souffert par la cause des mages noirs, ils t'ont enlevé un être cher. Mais, ce que j'endure, vous ne pouvez pas l'imaginer. On a scellé tes pouvoirs pour ne pas qu'ils blessent les gens autour de toi, non? Ce n'est pas mon cas. Ma magie est bloquée pour ne pas qu'elle me blesse. Je suis née avec un pouvoir magique anormalement élevé. Je sais que tu dois penser que je souhaite détruire la magie pour me soulager de ce mal qui me ronge. C'est vrai. On a du me poser sept sceaux afin de canaliser mon pouvoir, et rien que la douleur d'un seul est capable de faire fondre en larmes les plus endurcis. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle je souhaite détruire la magie. La magie et le système des guildes est profondément injuste. Les gens paient les mages pour qu'ils accomplissent des missions, mais... ce sont les plus démunis qui en auraient le plus besoin. Les puissants cumulent les privilèges tandis que les plus miséreux cumulent les obligations. Les mages sont les gens qui pourraient changer cela, mais il ne font rien. Ils sont partie intégrante de ce système et sont grassement payé pour ne pas se soucier des petites gens. Cette situation me rend malade. J'ai choisi de vivre dans la pauvreté et le dénuement, mais d'aider les gens qu'en ont le plus besoin au lieu de faire partie de cette mécanique de l'horreur. Et si je cherche à détruire la magie, c'est aussi pour créer un monde plus juste pour tous. J'ai bien conscience que... d'une façon je cherche à imposer mes vues au monde... mais... je ne peux pas rester les bras croisés sans rien faire!

Elle semblait plus convaincue par ce qu'elle disait. Son regard soutenait sans peine celui de Yue, montrant sa détermination. Puis, pour finir en apothéose, elle étendit en grand ses ailes à la fin de sa dernière phrase.

Un mètre soixante dix, et presque quatre d'envergure, Jeska savait se montrer impressionnante quand elle le désirait. Enfin, dans le cas présent, elle avait pas vraiment fait exprès de s'étaler de la sorte. Voyant Yue reculer, elle replia ses grandes ailes noires.

Je comprends mieux pourquoi vous voulez détruire la magie, bien que je ne puisse pas connaître votre douleur. Et je ne suis pas contre votre but. Sans magie, plus de magie noire donc mon but serait atteint par la même occasion. Je sais vivre sans utiliser mes pouvoirs, c'est pas un problème. Cependant, pour les guildes, si certains profitent trop du système, pourquoi ne pas monter une guilde pour ré-équilibrer la chose? Ou voir si une guilde existante ne cherche pas à ré-équilibrer la chose? Ensuite, ne serait-ce pas au Conseil de la Magie de faire en sorte à ce que ce soit plus équilibrer pour la population? ... Faire en sorte que les plus démunis aient une guilde sur qui compter sans demander d'argent ou un minimum pour vivre est très réalisable. De plus ça foutra un grand coup aux autres. Mais détruire la source même de la magie... ça sera dur, très dur. Vous pourriez avoir tout les mages contre vous. Qu'il soit légaux ou noirs! Et surtout, ils pourraient vous tuer, et ça, c'est inadmissible! ... Si nous allions voir cette guilde?

Il venait de s'étirer de tout son long, signe que cette conversation était pas très loin d'être terminée. Il voulait donc sortir et retourner sur son objectif premier : trouver la guilde Deus Arcana. Il n'y avait pas de raisons de continuer un débat qui n'avait plus lieu d'être. il partageait ses vues. Il lui avait même donné des précieux conseils. Marchant à sa suite, ils finirent par retrouver la clarté du jour et le bruit du festival. Sans vraiment avoir eu à se mettre d'accord sur une destination, ils flânèrent ça et là autour de l'église et finirent donc par arriver en vue de la guilde tant recherchée.

Voilà, Deus Arcana. J'espère que nous y trouverons les réponses que nous cherchons. Je... je voudrais te demander, peux tu garder mon rêve secret? Comme tu l'as très bien souligné, mon objectif pourrait m'attirer bien des ennuis. Je pourrais être persécutée si des mages mal intentionnés étaient au courant du but de mes recherches. Je suis désolée de te demander encore un service. je te promets de m’acquitter de ma dette envers toi dès que possible.

Elle joignit ses mains et inclina légèrement la tête en avant. Elle était juste devant cette guilde. Si près de leur bibliothèque. Cependant, elle hésitait. L'ange ne semblait plus aussi certaine de vouloir pénétrer dans ce lieu. En fait, présentement, elle aurait préféré être loin. Yue allait certainement vouloir rallier cette guilde et elle, elle ne savait pas comment leur expliquer qu'elle ne voulait pas les rejoindre.

Yue s'empressa de dissiper les craintes de l'ange, faint pousser à cette dernière un "ouf!" de soulagement. Puis, soudain, Jeska se retrouvait bien malgré elle entrainée vers l'avant. Aquila lui avait pris la main, en lui murmurant que tout aller bien se passer. Gênée, elle se laissa toutefois faire. Mais une fois dans le hall de la guilde, avec tous les regards braqués sur elle et sur lui, elle se sentit horriblement embarrassée. La tête baissée, regardant ses pieds, elle aurait souhaité disparaître. Le maître d'armes, quant à lui, demandait à voir un responsable.

Évidemment, grâce à son pouvoir, Jeska aurait pu se soustraire à ses regards interrogateurs. Mais, d'une certaine façon, elle réalisa que ce ne serait pas une bonne chose. Pour elle dans un premier temps, comment expliquer qu'on vient en paix en camouflant sa présence à l'aide de magie? Mais aussi pour Yue qui pourrait se retrouver dans une situation embarrassante. En effet, vu qu'ils étaient ensemble, ses actions pouvaient porter préjudice au jeune homme en compromettant sa possible adhésion au sein de cette guilde.

Les regards autant que les murmures ayant accompagnés leur entrée la mettaient franchement mal à l'aise. De plus le jeune homme avait été plus que familier dans sa façon de faire.

Yue, c'est extrêmement malpoli de demander des choses et de ne pas se présenter au préalable. Messieurs, veuillez nous excuser. Je suis Jeska Kamahlsson et le jeune homme avec moi se nomme Yue Aquila. Il est venu de loin pour intégrer votre guilde. A titre plus personnel, je suis venu solliciter la permission de consulter votre bibliothèque. Y a-t-il une personne pouvant nous aider, s'il vous plaît?

Le fait qu'ils étaient arrivés en se tenant la main, et la façon dont Jeska avait doucement grondé Yue instaurait un drôle de quiproquo. Pour les membres de la guilde Deus Arcana présents, ils formaient un petit couple.

L'expression sur le visage de Jeska était assez drôle. Les yeux ronds comme des soucoupes, la mâchoire tombante, elle n'en croyait tout simplement pas ses yeux. Leur simple entrée à Yue et à elle avait réussi à provoquer une bagarré générale. Il y avait de tout dans cette mêlée pugnace. Des hommes, évidemment. Mais aussi des femmes et des enfants. Pour l'ange, il s'agissait d'une guilde de fous violents et donc dangereux. Fort heureusement une jeune femme fort belle alla à leur rencontre. Mince et élancée, les traits de son visage étaient gracieusement encadrés par des cheveux d'un blanc plus pur que la névé des sommets. A coté, la robe de Jeska faisait terne. Et ce n'est pas peu dire. Car même si l'ange venait de loin, elle prenait un grand soin d'avoir toujours une robe bien blanche.

Bonjour, chers invités, que puis-je pour vous ? Je me présente, je me nomme Irisia Snow, et je suis l'hôtesse d'accueil de Deus Arcana. Si vous avez des questions concernant notre guilde, ou que vous souhaitez nous rejoindre, je me ferais un plaisir de vous aider en l'absence de notre Maître de Guilde... et ne faites pas attention au bazar derrière moi, c'est tous les jours comme ça.

Sa voix laissait transparaître une certaine gêne. Serait-ce à cause de la stupéfaction affichée de Jeska? Ou tout simplement parce que cette débauche de violence insensée la navrait? A la voir les couver du regard malgré tout, l'ange réalisa alors que le lien qui l'unissait avec ces gens était plus fraternel. Souvent, dans les familles, lorsque la mère part trop tôt, c'est l'ainée qui prend sa place. Ainsi, elle se retrouve alors à occuper à la fois le rôle de la maman, mais aussi celui de la grande sœur. C'est remplie de cette conviction que la gamine ailée allait prendre la parole, mais elle se fit devancer par Yue.

Excusez-moi mais je suis en quête d'une guilde. Cependant, je veux qu'elle corresponde à mes buts à atteindre. De ce fait, j'aurais plusieurs questions. Vu que ça peut prendre du temps, je préférerais que vous répondiez d'abord à la requête de ma camarade.

Bon, en fait, Yue lui repassait galamment la main. Elle prit une grande respiration, puis, elle inclina légèrement la tête en avant, comme pour éviter d'avoir à croiser le regard de mademoiselle Snow pendant qu'elle parlait.

Bonjour, je suis Jeska Kamahlsson. Mais ça, je l'ai déjà dit. Je... heu... je suis... je sollicite votre bienveillante permission afin de pouvoir consulter la bibliothèque de votre guilde. En effet, je fait des recherches et... heu... voilà!

L'ange parlait plus vite qu'à l'accoutumée, et semblait bafouiller un peu. Jeska serait-elle stressée?

Je suis désolée, Mademoiselle Kamahlsson, mais seuls les membres de la guilde sont autorisés à en consulter les ouvrages. Certains grimoires sont même réservés aux mages de rang S en raison de leur dangerosité. Comprenez que tout savoir n'est pas à placer entre toutes les mains, surtout celles d'inconnus. Le seul capable d'examiner votre requête, toutefois, serait Dokkalfar-sama, le Maître de Deus Arcana. Hélas, il est absent pour le moment, il s'est rendu au Festival des Fleurs de Magnolia afin d'y effectuer une ronde de routine. Il tient beaucoup à cette ville, et souhaitait surveiller le bon déroulement des festivités. Peut-être qu'en revenant plus tard, voire demain, vos aurez la possibilité de le rencontrer. D'ici-là, je pourrai lui faire part de votre requête.

Jeska était déçue, c'est vrai, mais d'un autre coté, elle savait très bien qu'aucune guilde ne laisserait ses ouvrages être consultés par une personne non-affiliée. Deaus Arcana ne faisait donc pas exception à cette règle. Son visage un peu affecté, elle voulut trouver un coin calme ou s'asseoir pour lire son livre, mais Yue la tenait très fermement par la main. Dans le cas présent la plupart des femmes auraient agi de façon fort indélicate en soulignant le fait que le jeune Aquila leur serrait la main un peu trop fort. Le fameux "Tu me fais mal". Mais l'ange n'en fit rien, elle se contenta de rester là, grimaçant légèrement sous la douleur. En effet, même si, pour le maître d'armes, la façon dont il serrait la paluche de la jeune femme n'était pas excessivement forte, pour Jeska c'était très différent. La souffrance n'était pas insoutenable, mais, vu qu'elle était physiquement bien plus fragile que la moyenne, Yue, sans le savoir, ni le vouloir, lui faisait mal.

On repassera demain pour ta requête. Autrement, faudrait chercher ce fameux Maître de guilde, dans tout Magnolia, mais là... autant chercher une aiguille dans une meule de foin

Ensuite, le mage-bretteur regarda la magnifique jeune femme au regard de braise, et lui dit :

Pour ce qu'il me concerne, j'aimerais savoir ce que peut m'apporter cette guilde. Sa philosophie, ses membres, bien qu'ils aient l'air plus que belliqueux. Sinon, est-ce que vous êtes assez libres dans vos mouvements, ou vous êtes très liés au Conseil des Mages? Enfin, j'aimerais en apprendre le plus possible sur vous, pour savoir si je vous rejoins, ou pas. Si vous avez des questions, je vous y répondrai sans problème. Je peux comprendre que vous n'accueillerez pas de nouveaux membres, sans savoir s'ils représentent des dangers pour vous.

Jeska, toujours tenue par Yue, se contenta d'afficher un sourire un peu déçu. Elle aurait bien aimé commencer sa lecture. Mais tant qu'Aquila lui serrait la main de cette façon, elle n'envisageait pas de bouquiner. En effet, elle aurait trouvé ça drôlement malpoli de commencer à lire juste à coté de deux personnes qui discutent. Ce serait comme de dire "Vôtre conversation est bien jolie, mais je m'en tamponne tellement le coquillard que je préfère lire". Elle se contenta donc de suivre ce qu'il se disait. Mais, ce qu'avait dit Yue en premier ne lui plaisait pas tant que ça. Elle attendit donc une pause dans la discussion pour dire.

Hum, à propos de votre maître de guilde, ne pouvons-nous pas l'attendre ici? Il va bien finir par rentrer avant que la nuit tombe, non? Et même s'il revenait plus tard, ne vous en faites pas, je ne prends pas beaucoup de place. Ce sera comme si je n'étais pas là. Si vous voulez, je peux même aider, en attendant...

Derrière les propos de Jeska se cachaient deux réalités. La première, celle d'une personne qui a beaucoup erré ces dernières années et qui a connu la misère. Souvent, elle devait travailler pour avoir un toit et de quoi se sustenter. Souvent, elle aidait grâce à sa magie, mais des fois, elle n'avait pas le choix que de se salir les mains. La seconde, qu'on pourrait facilement relier à la précédente, était son état avancé de pauvreté. En effet, elle avait usé de toutes ses économies pour s'offrir le livre qu'elle avait sous le bras. Elle n'avait même pas de quoi offrir un verre à Yue. Alors, une nuit d'hôtel, en plein festival des fleurs... c'était juste impossible. En fait, ces deux choses débouchaient sur une conclusion logique pour l'ange. Si elle sortait de la guilde, elle aurait à passer une nuit dehors.

Jeska était devenue toute rouge. Elle se sentait honteuse de devoir compter sur la générosité des autres pour réussir à vivre. Mais, dans le cas présent, cete honte était mélée d'une certaine joie. En effet, le soulagement d'avoir enfin un endroit où dormir et de quoi manger remplissait son coeur d'allégresse et de reconaissance. Irisa avait d'une façon ou d'une autre réussi à lire dans le coeur de l'ange et le désintéressement dont elle avait fait preuve avait touché Jeska jusqu'aux tréfonds de son âme. Elle en était tellement émue qu'elle ne savait quoi dire. Et come souvent dans ce cas, ce fut Yue qui parla pour ele, si on peut dire.

Pourquoi vous ne m'avez rien dit? Je suis désolé. Je vous ai fait mal? Bon... pour ce qui ait de nos requêtes, je pense que ce Dolkkafar pourra faire en sorte d'y répondre. Nous avons plus qu'à attendre... Je vais aller manger un morceau, vu que c'est si gentiment proposé par Mademoiselle Snow. Qu'est-ce que vous comptez faire?

Jeska secoua la tête de gauche à droite pour indiquer à Yue qu'il ne lui avait pas fait si mal que ça. Certes, il s'agissait d'un mensonge, mais l'ange avait un minimum de fierté. Ainsi, elle pensait qu'elle ne se montrait pas trop faible devant de parfaits inconnus. Par conte, ce qu'elle comptait faire, c'était une autre histoire. En premier lieu, elle avait pensé que de lire son livre la comblerait. Mais, en fait, il y a bien une chose qui lui ferait encore plus plaisir que de savourer une lecture depuis longtemps espérée. Cependant, elle devait encore formuler une requête auprès de la jeune femme aux cheveux blancs.

Mademoiselle Snow-sama.... Je... j'ai un peu honte de vous demander encore une chose mais... je n'ai pas goûté aux plaisirs d'un bon bain depuis pas mal de temps et... je voulais vous demander si... hum... avant de déguster la cuisine de Popeye-sama... je... enfin... si j'abuse de votre hospitalité n'hésitez pas à me le dire. Je me sens déjà terriblement débitrice vis à vis de vous... Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous dédomager!

Encore une fois, il transparaisait derrière les mots de l'ange certaines de ses valeurs. Elle ne profitait de personne. Qu'il soit faible, ou puissant. Dans son espirt, chaque service accordé devait être remboursé à son exacte valeur. Elle se sentait l'obligée de Yue car il avait récupéré son livre. Maintenant, elle ressentait la même chose vis à vis de Deus Arcana et surtout d'Irisa.

Bien sûr, il y a une salle de bain par aile, fais comme chez toi, je vais te montrer ta chambre, si tu veux.

Jeska hocha la tête en signe d’acquiescement. Encore un fois trop émue pour répondre aux paroles d'Irisa avec des mots, elle se contenta de suivre les ondulations de la blanche robe de l'albinos tandis que cette dernière lui faisait visiter l'aile réservée aux filles. Brièvement, l'intendante de la Guilde Deus Arcana présenta la chambre dans laquelle Jeska allait passer la nuit. Elle ne s'attarda pas plus sur les questions de couchage. En effet, mademoiselle Snow avait constaté que la jeune femme ailée voyageait sans bagages, donc, hormis y déposer le livre qu'elle tenait sous le bras, l'ange n'avait que peu à faire dans une chambre qui ne contenait qu'un lit (déjà préparé), une table de chevet et une armoire. Ainsi, Irisa écourta très intelligemment le passage dans la chambre. Jeska, quant à elle, profita de ce temps pour poser religieusement l'ouvrage qu'elle avait si difficilement acquis sur sa couche et suivit la fille en blanc jusqu'aux salles de bains.

Là, Jeska eut un choc. Elle n'avait jamais rien vu de tel. Il ne s'agissait pas d'une simple salle d'eau classique. Mais d'une sorte de grande piscine. L'eau semblait agréablement chaude. Enfin, c'est ce que l'ange pensait en voyant les volutes de vapeur qui flottaient paresseusement au dessus de la surface du bassin, donnant à l'endroit un petit coté "Londres sous l'ère Victorienne". Au centre, une sorte de gros poisson de pierre vomissait une cascade d'eau, sans doute une fontaine qui permettait le renouvellement du liquide. Irisa indiqua où se trouvaient les serviettes et remit la clef de sa chambre dans les mains de l'ange puis s'éclipsa. Persuadée d'être seule dans la pièce, la jeune femme se dénuda sans honte, accrochant sa robe dans une espèce de vestiaire. Puis entreprit de se mettre à l'eau.

L'onde était délicieusement tiède, telle une caresse, le liquide enveloppa le corps de l'ange. La sensation était tellement agréable qu'elle se surprit à pousser un profond soupir extatique en papillonnant des paupières, ses yeux bleus électrique fixant un plafond qu'elle ne pouvait pas voir. C'était tellement bon qu'elle soupçonna un instant l'eau d'avoir été modifiée par magie afin de procurer ce plaisir à la limite de l'indécence. Étendant en grand ses ailes, elle se mit à faire la planche afin de rincer aussi ses plumes. Sérieusement, en regardant le luxe et le faste dans cette salle d'eau, elle imaginait les moyens dont disposait la Guilde Deus Arcana. Et, elle en était profondément choquée. Que des gens aux manières aussi rustres profitent d'autant de bonne choses tandis que d'autres crevaient de faim. Cependant, c'était bien elle qui savourait cet instant, et elle chassa égoïstement ses pensées égalitaristes. Cet agréable moment n'était qu'à elle, et elle n'avait pas très envie de gâcher son plaisir en tracasseries inutiles. Ses plumes enfin gorgées d'eau, ses ailes se mirent à la tirer vers le fond de l'eau. Sa tête s'immergea enfin dans le liquide, non sans laisser quelques bulles au passage.

Le bassin n'était pas très profond. Jeska, en se tenant debout, n'avait pas de l'eau beacoup plus haut que la taille. Ainsi, elle sortit aisément de son immersion. Et, de suite, elle se sentit comme purifiée. C'était comme si l'eau avait rincé ses doutes ainsi que sa fatigue. Encore une fois, l'ange se demanda si le liquide, ou la grande baignoire n'étaient pas ensorcelés. Lentement, elle se dirigea vers un petit meuble dans lequel était disposé de nombreux savons aux senteurs capiteuses et enivrantes. Il y avait même des shampoings, des gommages et des huiles essentielles. Bref, tout ce qu'il fallait pour se pouponner. Elle choisit un savon au monoï et se laissa tenter par une lotion capillaire qui sentait la fleur d'oranger. Une fois sa toilette finie, elle entreprit de se rincer sous la cascade du gros poisson. Dieu que c'était bon. Elle aurait pu rester là des heures. Jusqu'à ce que ses doigts ressemblent à des raisins secs. Mais un bruit l'alerta. Elle n'était plus seule.

Qui.... qui es là?

La voix de l'ange était franchement teintée d'inquiétude. Elle qui était si pudique, elle refusait de montrer son corps, même à une autre femme. Enfin, si la personne que Jeska avait entendue était bien une femme.

Inquiète à cause du bruit qu'elle avait entendu, l'ange avait opté pour une stratégie dite du "on protège l'essentiel". Son bras droit couvrant du mieux qu'il pouvait sa poitrine tandis que le gauche plaçait sa main afin de masquer tant bien que mal une partie bien particulière de l'anatomie féminine.

Je suis Søren Dokkalfar, Maître de Deus Arcana, enchanté. A qui ai-je l'honneur ?

Jeska était terriblement embarrassée. Et si son teint cramoisi n'était pas un indicateur suffisant de l'émoi dans lequel se trouvait le jeune femme, la façon dont son regard avait tout d'abord soutenu celui de l'intrus avant de plonger un court instant pour voir la totalité de l'être qui se présentait en face de la gamine ailée et enfin de remonter comme si de rien n'était se noyer dans les deux lapis qui servaient d'yeux au Maître de Guilde.

Car l'homme qui venait d'apparaître était le fameux Søren Dokkalfar, l'homme qui dirigeait la guilde de mages Deus Arcana. Elle ne l'avait pas reconnu de suite sans ses habits. Par contre, elle se souvenait très bien l'avoir croisé au festival des fleurs de Magnolia. Mais leur rencontre avait été si brève qu'ils ne s'étaient pas vraiment présentés l'un à l'autre. Yue lui avait rendu son sac à main rose, tandis qu'il avait restitué le précieux ouvrage de la jeune femme ailée. Il y a aussi une histoire avec un filleul plantigradesque. Elle se souvenait à présent où elle avait vu cet homme. De ce fait, elle exclama.

Vous êtes le monsieur au sac rose et à l'ours! Vous êtes Søren Dokkalfar!

Ce n'était absolument pas la réponse appropriée à la question que lui avait adressée le Maître de Guilde. Premièrement car elle ne fournissait pas le renseignement demandé. Mais, surtout, dans un second temps, elle oubliait que le jeune homme s'était déjà présenté en tant que Søren Dokkalfar. Ce n'était donc en rien une découverte. Normalement, elle aurait du tendra sa main droite vers le mage et décliner son identité. Mais le caractère hautement gênant de la situation avait fait perdre à Jeska le sens de l'étiquette. Remarquant son erreur, elle se rattrapa de suite. Cependant, comme elle ne pouvait pas décemment tendre sa main droite vers l'homme sans exposer de ce fait sa poitrine, elle se contenta de baisser légèrement la tête ainsi que le haut de son corps vers l'avant tout en fermant les yeux de façon à ne pas voir une partie de l'anatomie du Maître de Guilde qu'elle avait uniquement pu observer dans les ouvrages d'anatomie.

Heu... désolée, j'oublie les règles de politesse élémentaires. Je suis Jeska Kamahlsson. Je suis venue de loin pour vous demander la permission de consulter la bibliothèque de votre Guilde. Je suis prête à vous rembourser de la façon qui vous semble la plus juste. Je serai votre humble servante.

Jeska n'avait pas perdu le Nord. Et son objectif lui avait momentanément fait oublier sa nudité, ainsi que celle de l'homme en face d'elle.